Petit Dru – Directe Américaine

Petit Dru – Directe Américaine

La Directe Américaine est une course chargée d’histoire, une ligne quasi rectiligne qui s’élance au coeur de la face ouest des Drus, l’une des parois rocheuses des plus absolues, pures et convoitées des Alpes. C’est un itinéraire qui nous a longtemps semblé impossible, la pensée même d’y mettre les pieds était absurde. C’est un mythe, intimidant et austère.

C’est il y a un an après avoir grimpé République Bananière que le projet de toper la Directe Américaine est né. A partir de là, nous sommes rentrés dans un état obsessionnel assez étrange. Plus rien ne comptait hormis la DA. La dose de sacrifices a augmenté brutalement. Ne plus voir sa famille, sa copine ou ses amis pour s’entrainer était difficile. Nous avons orienté tout nos entraînements et notre mode de vie dans le seul et unique but de grimper cette ligne. Et c’est bien là la partie interessante, concevoir un plan d’entrainement dédié à la directe américaine. La première chose était bien entendu de progresser en escalade; nous avons donc entamé un entrainement principalement axé sur la rési. Mais la Directe c’est bien plus que ça. C’est savoir grimper vite, grimper en trad, grimper en corde tendue dans un niveau soutenue avec des sacs lourds. C’est aussi savoir tenir un effort sur plus de 20h, s’assurer que les bras et la tête tiendrons. Afin de travailler tout cela, nous sommes beaucoup parti en grande voie, travailler tout les styles, la corde tendue dans notre niveau max à vue, grimper avec des sacs lourds, grimper en trad… On essayait de se donner des objectifs ambitieux à chaque sortie, ou bien de vitesse ou bien de difficulté technique en grimpant bien au delà de notre niveau max.

Une autre partie importante de la préparation fut la conception du sac, essayer de le rendre le plus léger possible. Nous avons beaucoup hésité a prendre de quoi bivouaquer. Nous ne savions pas quels horaires nous allions tenir dans la voie. Il y avait un monde où nous grimpions et descendions au refuge de la Charpoua à la journée. Mais cela, au vu de notre expérience, était beaucoup trop risqué. Nous avons donc pris de quoi bivouaquer. Suite à de nombreuses optimisations nous avions des sacs d’environ 7kilos5 chacun.

Nous savions que la période optimale pour grimper la DA allait se situer entre mi-mai et début juillet. C’est en effet une période pendant laquelle les journées sont longues et où il reste encore beaucoup de neige là ou il faut pour stabiliser le rocher et diminuer le risque de chutes de pierre. L’objectif était de partir au moment de la première grosse vague de chaleur de l’été avec un temps stable.

Nous sommes le 18 juin. On sent le créneau se rapprocher dangereusement. Nous avons sondé notre entourage, y compris des personnes ayant déjà parcouru la voie. Tout le monde nous déconseille d’y aller. Trop de neige apparement. Une cordée s’est faite hélitreuillée dans la voie deux jours avant. J’envoie un message au pilote de l’hélico pour plus d’info sur les conditions. Pour lui ça passe. Nous avons les crocs, nous avons ce feeling, cette petite voie qui nous parle. Elle nous dit que c’est le moment. Après avoir scruté les webcams pendant des heures, après avoir difficilement pesé les pour et les contre on décide de foncer. Nous sommes prêts.

Le samedi 24 juin nous effectuons l’approche jusqu’au pied de la face. Une cordée est déjà au bivouac, deux aspirants guides, ils partent aussi dans la DA. Nous les connaissons! On avait déjà fait une course d’alpi avec l’un des deux dans le cadre des équipes jeunes espoir. Nous bivouaquons en nous disant que si tout va bien dans 24 heures nous seront au sommet des Drus. 1h15, le réveil sonne. 2h top départ. 2h40 chaussons au pied nous attaquons l’escalade. Il fait nuit, nous progressons en corde tendue, le niveau est franchement soutenu, ça réveille. On se sent bien, on avance bien. 4h40, nous avons passé le socle. Nous arrivons au pied de la première grosse difficulté, le dièdre en 6b. Je pars dedans avec le sac sur le dos, nous estimons que hisser les sacs nous faisait perdre trop de temps. C’est ultra physique, je dois me concentrer, je lance un friend dans une fissure et… hop c’est la zipette, je prend le gros vol. Tout va bien, on se reconcentre et c’est reparti. Les longueurs s’enchainent bien. On sent les deux aspirants guides pousser derrière, ils n’ont pas de quoi bivouaquer eux. Alors on se donne l’objectif de tenir leur rythme, ne pas se laisser rattraper. On veut aller chercher le chrono. On s’encourage, on reste soudé, on avance. 11h48, arrivée au bloc coincé, le pied du crux. Le dièdre de 90m est impressionnant, il fait peur, mais on sait que passé le dièdre le plus gros morceau sera derrière nous. On se lance dedans, c’est dur, vraiment dur. On se demande alors comment Christophe Profit a pu le grimper en solo, franchement c’est lunaire, inimaginable. Ce dièdre nous a vite fait perdre l’espoir d’enchainer la directe en libre. On fait ce que l’on peut et on sort par la longueur d’artif, angoissant passage sur des spits de 8mm tout rouillés. 15h30, nous basculons en face nord. Une autre voie commence. Nous sommes fatigués et il reste encore 300m d’escalade. Nous faisons une bonne pause de 40min, on mange et on s’hydrate bien.

la face
en haut du dièdre de 90m

C’est reparti. L’itinéraire est beaucoup moins évident et plus montagne, le ciel se couvre, on est dans le brouillard. On se sent bien seuls. La retraite d’ici est quasi impossible et le sommet est encore bien loin. On a bien ralenti le rythme. 21h, la nuit approche à grand pas, la pression monte. Il faut reussir à atteindre le sommet et trouver un emplacement de bivouac avant l’obscurité totale. Nous sommes à une longueur du sommet, mais de gros doutes sur l’itinéraire nous ralentissent. On décide de chercher un emplacement de bivouac. C’est pas évident, il y a beaucoup de neige sur les replats. On décide de passer en versant sud, surement plus sec. On trouve un bon emplacement mais il est recouvert de glace. On se motive et à grand coups de piolets on fait le ménage. On peut enfin se poser, faire chauffer de l’eau et diner. Nous réalisons que l’on est à quelques pas seulement du sommet des drus, on l’a fait! Et à la journée! On est heureux et savourons ce succès, enveloppés dans notre duvet. Nos deux amis aspirants guide se trouvent au même endroit que nous et sont contraints de bivouaquer, sans le matos.

Je m’enveloppe dans le duvet. Je m’attendais à devoir lutter contre le froid dès les premiers instants. C’est enfaite tout le contraire, il fait bon dans le duvet, je me détend, le regard perdu dans le ciel étoilé des Drus. Et là je savoure, je savoure cet instant unique dans une vie; dormir au sommet des Drus après avoir grimpé la DA, quel bohneur.

le bivouac

Le lendemain on se réveille tranquillement et nous repartons vers 6h30. La traversée jusqu’au grand dru se passe bien. Au sommet du grand Dru nous ne prenons toutefois pas le temps de savourer, la descente est encore bien longue. Nous décidons d’enfiler les crampons et là, catastrophe, je perd l’un de mes crampons, précipité dans la face nord. Un doute s’installe, comment descendre des drus sans crampon. On décide d’avancer quand même et d’aller chercher le premier rappel. Les rappels se transforment en calvère, on est fatigué, on bloque deux fois la corde, certains sont sous la neige, on bricole. 14h00 on prend pied sur le glacier. C’est délicat car il me manque un crampons, mais la neige est molle et ça passe, on court en passant sous les séracs menaçants. On arrive au refuge de la Charpoua épuisés. On est content, soulagés, fier de nous. Un long retour à pied nous attends jusqu’à Cham, mais c’est pas grave, on descend tranquillement en savourant, juste heureux.

le dièdre


Non classé
Les commentaires sont clos.