Escapade Dolos’Mythique – Fin août 2023

Escapade Dolos’Mythique – Fin août 2023

Ou le récit de quelques semaines en pèlerinage au pays de l’infini, haut-lieu de l’escalade sous toutes ses formes et vecteur puissant d’émotions multiples. Bienvenue dans les Dolomites, bienvenue en terre de canailleries !

Chapitre 1 : De col en col

Une partie que l’on oublie trop souvent quand on parle de « voyage », d’ « expédition » ou de « trip », c’est le trajet, ou comment se rendre à l’endroit tant convoité. C’est certainement que ce trajet est généralement court et peu enthousiasmant. Que ce soit l’avion qui nous téléporte à l’autre bout de la planète en quelques heures à peine, avec les conséquences qu’on lui connaît… ou la voiture en terre d’autoroutes, longues et ennuyeuses, comparable à l’avion pour des distances plus courtes, rares sont les péripéties dignes d’un effort d’écriture en ces déplacements…

Pour ce trip, ce voyage – je n’oserais pas parler d’expédition ici, notre organisation étant bien trop laborieuse pour ça – j’ai voulu remettre à l’honneur le trajet, le déplacement d’un point A à un point B, qui était il y a encore quelques dizaines d’années, déjà une grande aventure en soi. Pour cela, plusieurs options s’offrent à moi : en train, bus et/ou covoiturage, la plus sûre mais aussi la plus chère et la moins aventureuse ; en stop, plus incertaine mais généralement encore assez rapide, c’est surtout un très bon moyen de rencontrer des personnes d’horizons extrêmement variés, on la choisira pour le retour ; et enfin le vélo, option la plus longue – si l’on omet l’option « à pattes » – mais qui permet, plus que toutes les autres car réalisée dans l’effort, de s’émerveiller des paysages rencontrés, des rencontres effectuées et des petits plaisirs anodins qui croisent notre chemin (une boisson fraîche et sucrée, un bivouac à la belle étoile, un revêtement de bonne qualité…). Ayant le temps, et l’envie de voir du pays, c’est évidemment cette dernière option que je choisis pour l’aller.

Après plusieurs jours de déperdition motivationnelle passés reclus chez moi à geeker, manger abondamment en regardant des séries et dormir, la motivation refait subitement surface et je me retrouve bientôt à squatter la coloc des copains à Grenoble – encore merci au Rifugio ! – avant de forcer le réveil à 4h30 pour prendre le premier train direction Genève. Pourquoi Genève me direz-vous ? C’est clairement pas le chemin le plus court pour se rendre dans les Dolos, encore moins à vélo ! Même en trichant et en prenant le train au départ (oups). Mais l’esthétisme de l’itinéraire ne passe généralement pas au plus court. Non, je voulais découvrir la Suisse et ses paysages de montagne en la traversant d’un bout à l’autre par les cols, à la sueur de mon front et l’usure de mes tendons. « Comme les vrais ! » dirait l’autre. Bref, la longue épopée – j’exagère un peu oui – commence sous une petite bruine aux abords du lac de G’nève, par l’achat malencontreux d’une baguette à 3 euros. Si j’avais roulé 10 minutes de plus, je serais repassé en Haute-Savoie et l’aurais eue aux taraux français ! Ce n’est donc pas sous le signe de l’intelligence que débute le trajet, tant pis… Je poursuis ma route le long du lac jusqu’à la frontière. Le temps de dire au revoir à la France pour quelques semaines et me voilà reparti direction Martigny, avec un vent de face de plus en plus prononcé, et le ciel qui se dégage : c’est beau, mais c’est chaud ! Pause rapide pour manger un peu de pain avec du fromage désormais à l’état liquide et je repars, vent pleine poire et sous une chaleur accablante, direction Sion, puis plus loin encore, jusqu’à Brig. Je pédale sans m’arrêter, seulement lorsque les éléments m’y contraignent : des gouttes d’eau un peu trop agressives, un festival de hard-rock inattendu ou une (des !) petite erreur d’itinéraire, ma spécialité. Il fait déjà presque nuit quand je lâche le bolide, après quelques 205 km, mon record ! Premier bivouac à la belle étoile sur une plage en sable blanc aux abords du Rhône, nuit idyllique.

Lac Léman
Premier bivouac au bord du Rhône

Le lendemain commencent les véritables difficultés, le dénivelé et les successions de montées-descentes de cols et autres bosses « négligeables », mais aussi et surtout la découverte de paysages magnifiquement variés, des plus basses vallées aux plus hauts cols. Un premier chemin – par ailleurs complètement inadapté à mon vélo de route, me demandez pas comment je me suis retrouver là, j’ai simplement suivi les panneaux… – me conduit à travers la forêt et les petits hameaux agricoles, jusqu’à un charmant petit pont de pierre. Puis commence la longue montée jusqu’aux sources du Rhône, qui me fait découvrir, non sans une pointe d’amertume, la raideur des cols suisses. Mais, merci à mon cerveau de fournir aussi peu d’efforts de mémoire, on oublie rapidement les souffrances une fois arrivé au col, à regarder les paysages qui nous entourent et à savourer la caresse du vent dans la descente. Je passe la deuxième nuit à Ilanz, aux abords du Rhin cette fois-ci.

Sources du Rhône et col de Furka
Col de l’Oberalp
Deuxième bivouac au bord du Rhin

Troisième jour, celui qui me verra traverser la plus grande variété de paysages, depuis les forêts d’Ilanz jusqu’aux glaciers de la Bernina en passant par les lacs bleu turquoise de l’Albula et du Berninapass, les hautes parois surplombant la route, les villages et leurs églises, et les lignes de train serpentant dans les vallées, parfois très larges, souvent plus étroites. Cette nouvelle journée au rythme du pédalier m’emmène jusqu’au col de Livigno, à la frontière italienne, à 2300m d’altitude, pour une nuit à la fraîche tout-à-fait bienvenue en cette période de canicule.

Petit village suisse près d’Ilanz
Cols de l’Albula (à droite), de Bernina (en haut à gauche) et de Livigno (en bas à gauche)

Le matin du quatrième jour, la Suisse derrière moi, je descends le cœur léger prendre le petit-déjeuner à Livigno, je sais que je n’aurai pas à débourser un SMIC pour un chocolat chaud. S’enchaînent deux petits cols bucoliques avant une longue descente. Qui dit longue descente dit longue, plus longue encore, remontée à un autre col. Et ce col, c’est pas n’importe lequel, c’est le col du Stelvio à 2758m ! Le second plus haut col routier des Alpes après notre Iseran national. La route est longue, et mes tendons d’Achille me font terriblement souffrir tout du long : ma selle est trop haute ! Il était temps de s’en rendre compte après 3 jours et demi à pédaler… Heureusement, une très longue descente m’attend, puis encore une petite centaine de kilomètres de faux-plat descendant pour rejoindre Bolzano, la porte des Dolomites ! Je erre dans les rues de la vieille ville en quête de la pizza tant espérée. Puis, une fois le délicieux festin englouti, je reprends ma route en louvoyant de fatigue à la recherche d’un endroit où poser mon fourbi pour la nuit. Un carré d’herbe au bord de la piste cyclable fera très bien l’affaire…

Col du Stelvio, virages et paysages !
Sur la route de Bolzano, dans la vallée des pommiers
Elle s’est faite attendre celle là !

Rien de mieux qu’une bonne suée pour se réveiller le matin ! J’ai l’habitude d’appliquer ce principe en montagne, mais ça fonctionne aussi bien pour le vélo. Et bien que mes tendons n’apprécient pas trop la remise en mouvement, une dernière longue journée m’attend pour rejoindre Cortina d’Ampezzo. Il faut que je traverse les Dolomites. Et c’est que c’est grand ! Mais les paysages sont merveilleux, le cadre presque surnaturel. Au fur et à mesure que je monte, les forêts de pins laissent petit-à-petit place aux vertes prairies puis, soudainement, d’immenses parois rocheuses s’extirpent de la terre et se hissent vers le ciel comme autant de tours, de piliers, de bastions, de contreforts, de murs raides, de fissures et autres cheminées, dans un assemblage architectural unique. Je ne sais plus où donner de la tête. Mon instinct de grimpeur est troublé, excité à l’extrême, les possibilités sont infinies ! Au dernier col, je m’arrête une heure, posé sur un caillou à contempler ces massifs qui s’étendent autour de moi à perte de vue. Je crois bien qu’il est temps de troquer le vélo pour les chaussons !

Paysages Dolos’mythiques, le rêve !

Pour les amoureux des chiffres, voici quelques stats. Si ça peut vous donner des idées de trip à vélo !

  • Jour 1 : Genève -> Brigue (205km, +1000m)
  •    Jour 2 : Brigue -> Ilanz par les cols de de la Furka et de l’Oberalp (150km, +2800m)
  •    Jour 3 : Ilanz -> Col de Livigno par le col de l’Albula et le Berninapass (125km, +3300m)
  •    Jour 4 : Col de Livigno -> Bolzano par les cols d’Eira, de Foscagno et du Stelvio (190km, +2500m)
  •    Jour 5 : Bolzano -> Cortina d’Ampezzo par les cols Gardena, de Valparola et de Falzarego (100km, +2800m)

Soit un total de 770km pour 12400m de dénivelé positif en 5 jours ! De quoi être content de poser le vélo quelques temps après.

Chapitre 2 : Varappe électrique

« On part en début d’aprem ça vous va ? ». De Grenoble aux Dolos, même en voiture, c’est ambitieux… Sans surprise, elles arriveront le lendemain, en fin d’aprem ! Ca me laisse une journée de repos bienvenue, où ma seule action notable sera de me faufiler subrepticement dans un camping pour filouter une douche chaude, puis d’attendre les filles en mangeant des Pringles et regardant des vidéos. Le soir on se pose sur un parking dans la forêt, à l’abri des regards – le camping sauvage est théoriquement interdit en Italie – pour une nuit à la belle étoile, illuminée par les lointains orages… Les orages d’ailleurs, seront notre principale préoccupation de ce début de trip, il y en a tous les jours mais la question fatidique est toujours la même : « à quelle heure ? ». Notre expérience de nos massifs français nous incite à la prudence. C’est pourquoi on commence par une petite grande voie équipée, et un départ extrêmement matinal – réveil 4h pour de l’équipée, ça fait quand même mal… – ce qui nous fait sortir tôt au sommet et nous laisse le temps de nous cultiver sur la descente en visitant les vestiges de fortifications de la Grande Guerre, des tunnels creusés à même la paroi, des bunkers et autres miradors qui dominent le col de Falzarego pour en interdire l’accès. Rarement nous avons connu une descente de grande voie aussi constructive ! Le mieux c’est qu’il nous reste encore tout l’aprem pour nous faire un festin – ça c’est à chaque repas ! – et bouger en direction de notre destination phare : les Tre Cime di Lavaredo ! Non sans une petite pause au lac avant, même si l’eau vaseuse ne donne pas envie de s’y baigner… Mais la douche viendra un peu plus tard, avec l’orage, on se prend des trombes d’eau sur la tête, on patiente dans la voiture avant d’installer la bâche, tendue entre la Dacia et le panneau du restaurant voisin, dont les charmants propriétaires nous regardent avec stupeur, doublée d’un léger mépris,  mais ne vous inquiétez pas braves gens, notre camp de fortune ne restera que tant que durera la pluie ! La schlaguerie est maintenant réellement de la partie !

Un peu d’équipé pour s’échauffer
Camp de gitan première classe

La météo étant toujours un peu trop limite à notre goût pour nous lancer dans les Tre Cime le lendemain, on opte pour une petite randonnée autour de ces montagnes emblématiques. On s’équipe pour se fondre dans la masse de touristes qui s’agglutine sur les chemins : short, basket, casquette, crème solaire, petit sac avec une bouteille d’eau et un pique-nique, et un panneau solaire pour recharger les batteries. Au « col de la Chine », où nous apparaissent pour la première fois les monstres de face nord que sont les Tre Cime, parois déversantes sur plusieurs centaines de mètres, nous nous séparons de la procession pour traverser dans les pierriers sous les faces. On s’aperçoit rapidement que de nombreuses cordées y sont engagées, ils se posent pas de questions les italiens ! Et on mange notre seum… D’autant plus que l’orage arrivera très tard, bien plus tard que prévu. C’est décidé, demain on engage les orages !

Tourist mode enabled

Le réveil à 4h fait son grand retour, mais il est justifié cette fois-ci. L’objectif du jour est la face nord de la Cima Ovest par sa voie la plus connue, car la plus accessible : la voie Cassin, ouverte en 1935 par le grand Riccardo ! On est les premiers à l’attaque mais rapidement une cordée qui connaît déjà la voie nous double. L’itinéraire est assez clair car bien fourni en pitons, mais il ne suit pas de lignes de faiblesse évidente – entendez par là des fissures larges, cheminées, laminoirs et autres abominations dans lesquelles les anciens excellaient – peut-être parce qu’il n’y en a pas tout simplement ? L’escalade en est étonnamment plaisante, proche de ce qu’on retrouve dans nos voies modernes sur spits, mais sur des pitons, et quelques friends ! La traversée sur réglettes en 7a est mémorable, avec plusieurs centaines de mètres de vide qui se creuse sous nos pieds finauds. Les autres longueurs en 6, mais aussi celles en 5 ne sont pas en reste, avec de forts jolis mouvements qui forcent notre respect pour les ouvreurs, en grosses et passant après 22 tentatives infructueuses dans une face aussi imposante où la retraite est loin d’être évidente !

Mais pendant qu’on jubile de l’inattendue beauté de l’escalade qui s’offre à nous, les nuages se massent au-dessus de nos têtes… Alors qu’on approche du sommet, une première averse de grêle nous met en garde et fait monter la pression d’un cran. Quelques mètres sous le sommet, alors que Juliette attend « à l’abri » que Manon et moi sortions des difficultés pour pouvoir courir au sommet et y rester le moins de temps possible, je sens mes poils se hérisser : on n’entend pas encore les abeilles mais l’atmosphère est assurément électrique ! Quelques dizaines de minutes plus tard, après un saut par-dessus une faille, une deuxième averse, de pluie cette fois-ci, et une désescalade bien entamée, le ciel se découvre un peu et les nuages nous apparaissent moins menaçants. Il n’y aura finalement pas d’orage ce jour… Merci l’Italie, la descente est facile, il suffit de suivre les points rouges ! Au parking, on discute avec les deux italiens qui nous suivaient dans la voie, des locaux qui nous donnent plein de conseils sur les Dolos, on s’échange nos contacts et on espère se recroiser à l’occasion.

La voie Cassin à la Cima Ovest, ça gaz !
Je cite : « Oh nique ! », merci Manon

Pendant que nous jouions avec les orages, Magali, l’italienne du groupe, est partie courir et fait la rencontre d’un berger avec qui elle passe une bonne partie de la journée. Pourtant elle a très envie de grimper aussi ! C’est donc reparti pour un nouveau réveil (trop) tôt pour une collective de cenouilles dans le Spigolo Giallo, heureusement un peu plus facile mais d’une beauté tout-à-fait comparable.  Manon et moi sommes en tête, mais on se perd dans les gradins centrales en essayant de faire correspondre les différents topos ensembles, ils se contredisent tous ! Bien saoulés, surtout moi, on laisse passer une cordée et on se retrouve tous les 4 sur une terrasse. Mon agacement s’envole dès la longueur suivante. Une fois de plus, la grimpe est vraiment plaisante et d’une grande variété : dièdres fissurés un peu plus à l’ancienne sans pour autant relever de la spéléologie, murs raides très prisus et traversée plein gaz sont au menu de cette classique, qui mérite de l’être ! La descente en rappel est moins plaisante, surtout pour Manon qui, en état de déshydratation flagrant, libère les biscuits du sommet, pourtant durement acheminés jusqu’ici. S’en suivent plusieurs heures de bouchons dans les rappels de la voie normale, on abandonne rapidement l’idée de doubler et on prend notre mal en patience. Les nœuds dans les cordes suffisent à nous occuper… Bref, demain c’est grasse mat’ !

Le réveil est difficile mais ça a quand même du beau !
Encore de la belle escalade trad dans le Spigolo Giallo !

Chapitre 3 : Schlag life si tu nous vois

Ces premières journées dolos’mythiques aux origines de l’histoire de la varappe nous laissent des étoiles plein les yeux, et l’envie d’en voir bien davantage ! Malheureusement, les prochains jours s’annoncent mauvais… Mais seulement en terme de météo ! Car à être limités dans nos désirs de grimpette, la canaille qui est en nous reprend le dessus, et l’ambiance n’en est que plus folle ! Voici une présentation non-exhaustive de canailleries et autres exemples flagrants de schlaguerie que l’on a pu réaliser au cours de ces quelques jours de mauvais temps, avec plus ou moins d’intention.

Une fois redescendus du Spigolo Giallo, on opte pour aller dormir à côté d’un joli lac que Mag avait repéré. Ni une ni deux, on bourre les affaires dans la voiture puis on se met en route. Etonnant, il reste plein de place dans le coffre… « On a tout ? Oui oui. » Mis à part les habits de Mag qui sont restés sur le pare-brise tout le long de la descente – étonnante adhérence ! – rien à signaler. Oublions les 60 euros déboursés pour payer l’accès routier aux Tre Cime… Nous voilà bientôt, après une petite heure de route et une pizza aux chandelles, au bord du lac à monter les tentes et installer les mate…las… Ah bâ voilà pourquoi il y avait plein de place, on a oublié le matelas et le duvet de Manon ! Bon bâ on y retourne alors. Les paris sont lancés, va t-on retrouver le fameux ensemble matelas + duvet ? Manon va t-elle pouvoir passer une bonne nuit ? Le sort a voulu que oui, et même mieux qu’espérer encore parce qu’on s’attendait à les retrouver trempés ! Un grand merci à ceux qui l’ont mis à l’écart en le protégeant d’un sac poubelle, vous êtes nos anges gardiens ! Reste plus qu’à trouver un endroit où dormir… C’est Magali qui, une fois de plus, nous sauve la mise en nous trouvant un endroit pépite où on s’écroule de fatigue pour quelques heures de sommeil tant attendues.

Le lendemain matin c’est repos, le vrai, celui où on mange en lisant, ou manger en discutant, en dormant, en triant ses affaires, en étant sur son portable… Le plus important c’est de manger ! Ca tombe bien, on a l’atout pour ça : les Pan di Stelle ! De succulents petits biscuits au chocolat qui disparaissent à une vitesse étonnante… C’est en se disant que l’industrie agro-alimentaire a quand même du bon parfois qu’on se remet doucement en marche. La météo est pas si pire, on décide donc d’aller tenter une petite balade, genre « repos actif », en courant… Tout ça pour aller voir un lac, finalement ! Petit lac au pied d’imposantes parois calcaires, dolo’mystiques dirais-je même. Les filles se lavent dans le lac. Pour ma part, on pourrait dire que je n’y suis pas allé car je savais que le lendemain nous offrirait l’opportunité d’une douche chaude, mais l’affligeante vérité est que l’eau était simplement trop froide pour mon faible mental.

Balade de repos au lac de Sorapis

Le soir, on redescend dormir au même endroit que la veille. Enfin, pas exactement au même endroit puisqu’on est descendu sur le parking du bas, seul endroit où il restait de la place. Outre quelques manips de bâche pour manger sous un abri tout relatif (la bâche étant trouée), c’est une soirée tranquille. On installe les tentes dans l’herbe à côté, à quelques mètres des camping-cars et on s’endort, bercés par le bruit de la pluie qui tambourinera toute la nuit sur la toile… Au petit matin, le mouvement s’ajoute au bruit pour bercer Manon et Magali, c’est confortable… Enfin jusqu’à ce que le toucher s’en mêle et que l’eau imbibe les duvets ! « Ah mais attends, on flotte là !! » Panique à bord, la tente fait naufrage dans une mare. Elles parviennent à s’échapper de l’habitacle en dérive pour se réfugier dans la Dacia, qui fuit un peu moins… Jeunes gens qui n’avez pas connu le traumatisme de cette expérience, prenez garde aux cuvettes par temps d’orage ! On passera le restant de la journée à la salle d’escalade, formidable performance de squat. Que ce soit les vestiaires et les douches avec nos tentes et duvets mis à sécher, ou la terrasse abritée du bâtiment pour sortir les réchauds et se faire à manger, on aura bien rentabiliser notre entrée ! On en a bien sûr profiter pour grimper, et se mettre des grands fights dans les dévers, ça faisait du bien. Bref, on recommande la salle de Cortina pour les jours de pluie.

Atelier squat à Cortina 360, la salle de Cortina

La nuit suivante sera moins mouvementée, heureusement. C’est la dernière pour Manon et Mag qui, après une matinée à gambader dans Cortina et à manger, encore et toujours, nous déposent, Juliette et moi, à un endroit propice au stop avant de prendre la route du retour… Ces quelques jours passés tous les 4 dans ce massif merveilleux auront étés intenses, riches en émotions et en moments aussi formidables qu’improbables. Beaucoup de rires, de bonne humeur, de partage et de découverte, le combo gagnant à coup sûr !

Chapitre 4 : Marmola’dingue

Avec Juliette, en bons chômeurs, on décide de rester quelques jours de plus au nirvana des grimpeurs pour aller voir la section « dalles engagées » de ce petit coin de paradis. Un peu de stop pour rejoindre Malga Ciapela et nous voilà, après quelques heures de marche, au pied de la gigantesque face sud de la Marmolada, le plus haut sommet des Dolomites, au refuge Falier, à prendre le café pendant qu’une petite bruine résiduelle se charge de tremper les faces. Moyennement convaincus de notre stratégie, on dépose du matériel au pied de la voie qu’on aimerait faire le lendemain. Et on redescend, toujours sous la pluie, qui continuera toute la soirée encore.

Face sud de la Marmolada

Au petit matin – on recommence les réveils matinaux, à notre plus grand malheur – on monte léger mais peu confiants quant à la possibilité de grimper sans trop se mouiller les doigts… Et quelle bonne surprise que de trouver la face toute sèche ! Même après 4 jours de (gros) mauvais temps et pas de soleil pour faire sécher la veille au soir, la face a bien séchée pendant la nuit. Ca s’annonce être une bonne journée ! On est à l’attaque vers 7h pour aller faire un tour dans Don Quixote, la plus facile de la face et de fait, une grande classique. Mais aujourd’hui, on a toute la muraille pour nous, quel honneur ! On alterne entre corde tendue dans du facile, et tirer quelques longueurs dans les sections plus grimpantes, pour sortir aux alentours de 14h20 au sommet, en moins de temps que nos pronostics le laissaient supposer. 7h15 dans une voie de 900m ça paraît être un temps honorable. Rappelons toutefois que les ouvreurs avaient mis une heure de moins en partant à 11h du matin pour « rompre avec les clichés de l’alpinisme traditionnel », avec 7 pitons. Sacré Hans ! Et quelle escalade ! Une belle entrée en la matière dans les dalles grises effroyablement compactes de la Marmolada, où l’on ne croise pas un seul spit, seulement des pitons et quelques rares lunules, friends ou câblés à ajouter, plutôt espacés entre les trous qui parsèment le mur. L’escalade est magnifique, le rocher sublime et l’aventure certaine. Le mental en prend parfois un coup et il faut rester humble face aux cotations – non pas qu’elles soient sévères mais la peur corse généralement les choses… – il doit être bien difficile d’oublier une voie grimpée à la Marmolada ! Que de bons souvenirs !

Magnifique mur à trou typique de la Marmolada au sommet de Don Quixote !
Topo homemade by Juliette la déter

Après la montée reste la descente. L’option de facilité aurait été de prendre la benne directe jusqu’à Malga Ciapela, mais pas de ça chez nous ! On redescend par le glacier, en se perdant dans les rappels au passage – il y en avait 3, je vous met au défi de vous perdre dans une ligne avec moins de rappels que ça… – pour ensuite rejoindre des dalles de rocher poncées puis les pistes de ski. Nos vieux os nous font souffrir : Juliette son genou et moi mes tendons d’Achille. Aussi dès qu’un 4×4 passe on tente le stop, et ça marche ! On redescend jusqu’à Malga Ciapela à l’arrière dans la benne, « bénéf ! » comme diraient certains.

De retour au camp, il est même pas tard ! On est content de notre journée mais on aimerait bien se mettre un peu plus la mission. Un super topo récent existe sur les voies de la face sud, mais on ne l’a bien évidemment pas… Ca sera donc ça la mission du lendemain : retourner à Cortina, ou ailleurs, pour trouver ce topo. Deux stops nous déposent sur une petite route directe jusqu’à Cortina. Pas beaucoup de monde y passent, mais ça veut dire que les gens ont plus tendance à prendre ! Hélas, la théorie des petites routes ne fonctionne pas en Italie… Ici moins de monde signifie simplement (beaucoup) plus d’attente ! On finira par abandonner après plus d’une heure d’attente, et rentrer en bus-stop – c’est un bus qui nous a pris, pas mal ça ! – jusqu’au camp après avoir fait quelques courses et mangé la pizza de la consolation…

Bizarre de sortir sur un glacier après une grande voie calcaire…
En bonne compagnie au dit camp

Mais ce temps nous a permis d’éplucher le net à la recherche de topos sur une voie qui nous fait de l’œil depuis le début, on en trouve dans toutes les langues, mais aucun qui ne soit vraiment complet. On se monte la tête, on imagine partir dans une voie extrême, nous retrouver à nouveau seuls dans cette face pendant deux jours, à trembler de tous nos membres dans des dalles grises 5 mètres au-dessus d’un vieux piton rouillé planté dans l’unique petit trou qui trouble la terrifiante perfection du caillou, en lâchant un laconique : « Tu fais gaffe hein », tremblotant… Mais quand on se pointe au pied de la face – à 10h30 s’il vous plaît ! – deux cordées sont déjà engagées dans Tempi Moderni, Modern Zeiten, Temps Modernes, Modern Times, Ādhunika samaya ou quelque soit votre nationalité, et une cordée qui voulait sortir à la journée a finalement fait demi-tour, trop de monde…

On passe avant un groupe de l’Eagle Team, le GEAN italien, qui venait juste faire des photos dans la première longueur, et ça attaque fort, par un 7a raide à l’ombre où mes doigts décident d’abandonner leur sensibilité. Sans surprise, c’est la chute ! Heureusement, les pitons sont bien ennfoncés, j’ai eut le temps de me poser la question… Ca met dans l’ambiance, c’est bien ! Le reste de la journée se passe bien, c’est moins engagé qu’escompté, et ce n’est pas pour nous déplaire. Mais quand même, il vaut mieux pas tomber… Surtout dans le fameux 6c, celui qui fait la réputation de la voie : une dalle grise ultra-adhérente, avec quelques trous éparses et des protections lointaines qui mènent à une magnifique cannelure sommitale, dans laquelle on jette un numéro 3 douteux mais réconfortant, « psychologique » comme on dit : merci à vous, grimpeurs inconnus d’un sombre topo internet qui avez conseillé d’emmener cette taille de friend, il nous sauva des points de vie mental plus d’une fois ! Après avoir grimpé les 12 premières longueurs jusqu’à la vire intermédiaire, on arrive au bivouac et nous motivons pour aller fixer le 6c qui nous attend en première longueur le lendemain matin, très joli par ailleurs. Nos 3 amis italiens de la cordée devant nous ayant fait demi-tour au bout de quelques longueurs, nous sommes finalement seuls au bivouac, avec deux autres cordées qui sont dans la Vinatzer voisine. On se marche pas dessus ! Un peu de pain-fromage et de Pan di Stelle pour agrémenter ce prestigieux repas et nous voilà au lit, sur les matelas gracieusement mis à disposition de tous, la bonne surprise de la soirée ! Car par souci de légéreté nous étions partis avec seulement un duvet pour deux, sans matelas, 4L d’eau, un peu de pain, beaucoup (trop) de fromage et, bien sûr, un paquet complet de Pan di Stelle, oh biscuits merveilleux ! Et j’étais déjà content de pas m’être tapé le sac dans le 7a déversant du bas…

Tempi Moderni partie basse, entre grimpe d’une beauté terrifiante et bivouac à mi-paroi

Le temps de profiter du lever de soleil, de repousser le réveil quelques fois, alors que nos camarades sont déjà en baudrier prêts à partir, pour finalement se motiver à sortir du lit à grand renfort de biscuits, et nous voilà à l’échauffement, remontant les cordes fixées la veille pour s’élancer dans la deuxième partie de la voie, qui nous réserve bien des surprises. Mais la journée commence bien, on trouve un friend et 3 dégaines rallongeables toutes neuves ! Etrange quand même… Elles appartiennent en fait à la cordée au dessus, tant pis, la richesse attendra. On les rattrape assez rapidement, pour aller nous perdre avec eux dans ce cirque sommital d’une grande beauté. On y passe plusieurs heures, à nous tromper de chemin à tour de rôle : eux trop bas, nous trop à droite, eux partent tout droit vers le seul point caractéristique visible, un relais de réchap, il fallait en fait partir à gauche avant… De manière générale, c’est quand c’est facile qu’on se perd. On finit quand même par arriver aux longueurs grimpantes du sommet, un mur raide à trous où le gaz commence à se faire bien sentir. Mais une telle voie n’aurait pas eu la même saveur sans un petit craquage mental ! En sortant de l’avant-dernière longueur, je ne trouve pas de relais, je monte, puis redescends à la recherche d’un endroit où en fabriquer un. J’y arriverai finalement après une demi-heure à mettre des protecs dans tous les trous et fissures qui me passent sous la main dans un rayon de 5m . L’usine à gaz ! Mais au moins ça tient…

En perdition dans le cirque sommitale…

Avec cette histoire, il commence à se faire un peu tard, on met le turbo dans le dernier 6b+ pour rejoindre le sommet, en tirant sans vergogne sur le malheureux piton du crux. Là commence la grande course à la benne, dont on ne connaît pas l’horaire limite mais qu’on sait ne pas être dans très longtemps. « Pas de ça chez nous ! » disais-je pourtant un peu plus haut. La vue de la descente qui nous attend si on loupe l’infâme machinerie nous fait rapidement ranger notre éthique bien profondément dans la poche, fusse t-il payer 50 euros le petit tour en cabine qui nous pose directement à Malga Ciapela à quelques centaines de mètres de notre camp de fortune. Il en faut peu diriez-vous. Et vous auriez bien raison.

Heureusement pour punir nos péchés existent les vaches et leur appétit destructeur. Quelle surprise que de voir nos affaires martyrisées par leurs divins sabots, éparpillées aux quatre coins du bosquet et couvertes de leur sacrée bouse ! Où est le cabas de bouffe ? On cherche partout alentour, mais il nous faut nous rendre à l’évidence, jamais nous n’aurons la réponse à cette terrible question. Certainement dévoré par les vaches rédemptrices, le réchaud avec… La sentence est tombée. Nous n’aurons comme tout repas qu’un bout de pain et du fromage.

Nos malheureuses affaires prises d’assaut par un régiment de vaches destructrices

Chapitre 5 : Stop à l’italienne

Finis les Dolos ! On y serait bien resté encore quelques semaines de plus, à barouder dans ces dédales de rocher mystique, mais comme toutes personnes sérieuses, nous avons des obligations qui nous attendent en France.

Nous nous accordons deux jours pour rentrer à Grenoble, l’objectif étant de tout faire en stop. Heureusement, nous ne sommes pas trop chargés, ça devrait faire ! C’était sans compter sur le fait qu’on est en Italie, et qu’en Italie prendre quelqu’un en stop semble être un méfait de la plus grande gravité… Bref, après plusieurs petits stops à la chaîne pour sortir des Dolomites on a attendu aux péages, longtemps, bien trop longtemps, que quelqu’un daigne nous accueillir dans son carrosse, ce qui n’arrivera pas. Au bout de 3 heures d’attente, on n’a plus trop espoir. La nuit va bientôt tomber et on est même pas à Milan ! On choisit l’option BlaBlaCar, puis le train jusqu’à Turin où on se pose pour une dernière nuit à l’arrache au bord du Pô, il est minuit bien passé. Mais ce serait extrêmement malhonnête de notre part que de réduire l’Italie à son seul désintérêt pour le stop. L’Italie c’est aussi et surtout des personnes très accueillantes, une Histoire richissime, des monuments et des musées, et une richesse gastronomique phénoménale. C’est ce dernier point qui fera particulièrement écho à nos cœurs ! Mais notre vision de la « richesse gastronomique » de ce pays s’arrête aux pizzas, aux glaces, aux cafés et autres chocolats chauds d’une grande saveur et à un prix défiant toute concurrence. Vous l’aurez compris, cette dernière journée sera un voyage culinaire qui commence dès le petit matin au café avec pâtisseries et boissons éponymes. Elle se poursuit à Turin, avec des Pan di Stelle, achetés en quantité démesurées pour satisfaire mes besoins de biscuits chocolatés, ils ne dureront que quelques jours… Et enfin, une pizza immensément bonne à Suse, avant de rejoindre notre chère France, patrie du stop facile. Que c’est bon d’être pris en moins de 5 minutes ! Par moment, on a même pas le temps de poser le sac ! Bref, faites du stop braves gens, c’est facile chez nous, et ça permet de rencontrer tout un tas de personnalités très variées que l’on ne rencontrerait pas autrement.

On déconseille le stop en Italie…

Ainsi s’achève ce récit des quelques semaines de joyeuse découverte chez nos amis italiens, dans ces massifs légendaires que sont les Dolomites. Où s’écrirent certaines des pages les plus prestigieuses de l’Histoire de l’alpinisme et de l’escalade. Comme une plongée dans cette richissime Histoire, nous sommes allés voir ces voies d’ampleur qui forcent le respect pour leurs ouvreurs. Des envolées mystiques parmi certaines des plus belles parois calcaires d’Europe ! Promesse d’escalade variée, souvent plaisante, parfois terrifiante, mais toujours mémorable. Le tout dans une atmosphère détendue où le rire ne laisse jamais sa part aux chiens ! Que d’aventures et de bons moments avec les trois canailles bien canaillantes, quenouilles de premier choix et grands maîtres de la schlaguerie, j’ai nommé Juliette, Manon et Magali ! Quand est-ce qu’on remet ça ??

Topo C2C de Tempi Moderni à la Marmolada (tout neuf !) : https://www.camptocamp.org/routes/1577419/fr/marmolada-punta-rocca-tempi-moderni

Nathan


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